De nouveau, ciel blanc et grisâtre qui ne promettait qu'une neige éternelle. Le temps ne changeait pas. Plus depuis deux décennies. Plus depuis cette foutue malédiction. Les quelques gracieuses variations n'étaient malheureusement guère plus accueillantes. Le froid nous prend jusqu'aux tripes et n'abdique que par la présence du feu.. mais pendant combien de temps pourrons-nous tenir ainsi ? Ici, les arbres meurent suite à la stérilisation du sol. Pour le moment, le bois est acheminé d'autres contrées, mais qui nous dit qu'au bout d'un moment, on ne finira pas par nous lâcher et nous laisser à notre triste sort ? Peut-être serait-ce aussi un mal pour un bien qui ferait changer d'avis aux dirigeants quant au sujet de la réouverture des frontières afin de fuir une bonne fois pour toute le royaume.  Pas dit non plus que par la suite ils ne se mettraient pas à faire la chasse aux créatures et adeptes de la magie afin d'éradiquer carrément toute trace de magie dans le monde entier. Ce serait un carnage. Quels dilemmes...

En attendant, c'était l'heure d'aller trouver un peu de chaleur et de nourriture. Non pas que je n'avais rien dans ma petite demeure, mais disons que j'aimais joindre l'utile à l'agréable. La Taverne de Hämnd était un endroit parfait. Je m'y rendais très souvent. Il y avait toujours du monde, peu importe l'heure. Je pouvais donc me fondre dans la masse, prendre un repas et boire l'air de rien tout en glanant quelques informations à la dérobée. Lieu de rencontres, les gens aimant boire.. les langues se déliaient aisément. Évidemment, le fait que la cité soit sous le contrôle de Natalya aidait beaucoup. Les gens étaient bien plus au courant des actions menées ou qui le seraient par les rebelles - ces derniers fréquentant aussi la taverne.

Il est vrai que les "marginaux" comme nous qui sommes éligibles aux exécutions, étions un peu plus en sécurité par ici. Mais personnellement, je restais sur mes gardes et continuais de me dissimuler aux yeux du grand public. Ne vivant pas à Hämnd et m'y rendant pourtant régulièrement, rien ne garantissait que des partisans du roi ne faisaient pas la même chose. Les espions étant légion depuis un certain temps, je n'avais nullement l'envie de me faire repérer et suivre jusque chez moi. Hors de question de me faire attraper et d'y laisser ma vie bêtement. Si ça devait arriver un jour, si tel était mon destin, autant que ce soit en m'étant réellement battu aux côtés des miens. Pour cela, encore fallait-il que je me décide à franchir le pas de la porte de la Rébellion.


Je m'étais posé à une table, dans un coin tranquille. La jolie serveuse, joyeuse mais toujours trop grimée s'empressait d'aller porter la commande au bar et en cuisine. J'observais calmement quelques groupes ici et là, à rire et parler un peu trop fort parfois. Des hommes seuls et souvent d'âge mûr en train de se morfondre à en boire jusqu'à l'endormissement. Des couples flirtant et se lançant des mots doux, papillonnant. Et des femmes, vêtues de leurs plus beaux atours pour s'attirer les faveurs de plus beaux - ou simplement fortunés - ici présents, gloussant comme des dindes. Humains et toutes autres races se côtoyaient, l'air de rien. Comme si la malédiction n'avait pas eu lieu ici. C'était plaisant, mais inconscient.

Tout ce spectacle ne me dérangeait pas. Pas tant que ça ne ramenait pas des tarés criant à l'attentat pour fusiller tout le monde sans distinction. Toujours accompagnée de ma fidèle cape noire, je retire doucement ma grand capuche, la laissant glisser en arrière. Je n'étais pas allé jusqu'à modifier l'apparence de mes oreilles ni la couleur de mes yeux, mais au moins mes cornes n'étaient plus apparentes. Merci à ces supers potions pour le coup. Mes coudes étaient posés sur la grosse table en bois traditionnelle et lourde, les mains jointes dont mes doigts entrelacés, mon menton reposant dessus. Le regard dans le vide mais dirigé vers le bar de l'autre côté de la taverne, j'attendais calmement que l'on m'apporte ce que j'avais demandé.